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Dans les rues du Mali, les critiques de Macron suscitent l’amertume

Le président français a jugé « nulle » la légitimité du gouvernement de Bamako, qui s’est indigné de la réorganisation de l’opération « Barkhane ».

Par  (Bamako, envoyée spéciale)

Publié le 08 octobre 2021 à 10h44, modifié le 08 octobre 2021 à 10h54

Temps de Lecture 4 min.

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Devant l’échoppe du menuisier Youssouf Guindo, la théière chauffe comme chaque fois à la nuit tombée. Mais le thé est plus amer que d’ordinaire pour la poignée d’amis réunis à Badalabougou, un quartier de la rive droite de Bamako, la capitale du Mali. Ce mercredi 6 octobre, alors que le ministère des affaires étrangères malien vient de convoquer l’ambassadeur français sur place pour condamner les déclarations « regrettables » d’Emmanuel Macron à l’égard de la junte militaire, eux aussi portent un jugement sévère sur le président français.

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« Ses propos m’ont écœuré. En tant que président, il aurait pu exprimer autrement sa frustration », souligne Harouna Sy, un économiste, en sirotant le deuxième des trois thés traditionnels du soir. Jeudi 30 septembre, Emmanuel Macron avait qualifié de « honte » les accusations d’« abandon en plein vol » du Mali par la France portées cinq jours plus tôt par le premier ministre de transition, Choguel Maïga, à la tribune de l’ONU, alors même qu’un soldat français venait de tomber au combat dans le nord du Mali. « Je rappelle que le premier ministre malien est l’enfant de deux coups d’Etat. Donc la légitimité du gouvernement actuel est démocratiquement nulle », avait renchéri Emmanuel Macron. Des mots qui ont froissé de nombreux Maliens.

Ousmane Goro, enseignant, regrette ce qui relève selon lui d’un manque de compréhension des codes culturels du continent. « La tradition africaine ne donne pas à Macron la permission de s’adresser à notre dirigeant de la sorte. S’il veut parler aux Africains, il faut qu’il essaie de nous comprendre », explique-t-il, rappelant qu’au Mali, le degré de respect accordé à un interlocuteur dépend de sa capacité à rechercher le compromis, avec patience. « Macron est imprévisible. On en vient à se demander s’il a des conseillers autour de lui. Ne lui ont-ils pas expliqué nos usages ? », s’interroge, pour sa part, Ousmane Goro.

« Deux poids, deux mesures »

De nombreux citoyens maliens se sont sentis directement visés par les propos du président français. « Choguel et son gouvernement de transition représentent le peuple, qu’importe ce que peut bien en dire la France », balaie l’enseignant, avant de se lancer dans une critique du « deux poids, deux mesures » qui a, selon lui, caractérisé la politique d’Emmanuel Macron au Mali ces derniers mois. Si le premier putsch du 18 août 2020 qui a balayé le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », n’a été que très faiblement condamné par la France – voire toléré, selon certains –, le second, perpétré le 24 mai, a au contraire poussé Emmanuel Macron à annoncer « la fin de “Barkhane” en tant qu’opération extérieure ».

Même si, dans les faits, il ne s’agit pas d’un départ mais d’une transformation du dispositif militaire français au Sahel, « le flou volontairement gardé dans l’immédiat par Emmanuel Macron autour des modalités de ce plan a amené les Maliens à penser qu’il s’agissait là de la fin de la présence militaire française au Sahel et donc d’un abandon. D’autant que, dans la foulée, il avait annoncé la fermeture de trois bases françaises sur cinq », analyse le politiste malien Boubacar Haidara. A l’en croire, Choguel Maïga a depuis lors « sauté sur toutes les occasions que lui offrait Macron », dans le but de conquérir une opinion publique qu’il savait de plus en plus agacée par les agissements français, tant sur le plan politique que militaire.

Le désarroi et l’aigreur sont particulièrement perceptibles dans certaines régions gagnées par les violences, comme celle de Mopti, dans le centre du Mali. Là-bas, Abba Kassambara, un acteur de la société civile, a observé la progression des terroristes malgré l’intervention militaire française lancée au nord en 2013 (« Serval », transformée l’année suivante en « Barkhane ») et dont l’objectif était pourtant de les contenir. « La montagne a accouché d’une souris. La situation empire, des villages entiers brûlent, les civils avec. Et les terroristes, qui ne sont pas si nombreux, repartent tranquillement se cacher en brousse, sans que les milliers de soldats français et onusiens présents sur le terrain ne parviennent à les attraper. On ne peut pas le comprendre », tempête-t-il.

« Les François doivent assumer leur échec »

« Les militaires français doivent assumer leur échec et partir », tranche Oumar Tembiné, membre de Yèrè Wolo, une association réputée proche des putschistes, depuis le campus de l’université de Bamako. Mais à Tombouctou, une ville du Nord dont les soldats français devraient commencer à se retirer d’ici la fin de l’année, on s’agace de cette lecture qui ne refléterait pas ce que pensent la plupart des habitants des régions septentrionales. « Les Maliens confortablement assis à Bamako ne connaissent rien des réalités de notre quotidien, l’insécurité dès qu’on dépasse les limites des villes, l’absence quasi totale de l’Etat. Les Maliens du Nord ont peur du retrait de “Barkhane”. On voit mal l’armée malienne être en capacité d’assurer notre sécurité, une fois les Français partis », s’inquiète Salaha Maïga, directeur du festival Vivre Ensemble.

Comme d’autres résidents du Nord, le trentenaire prie aujourd’hui pour que l’escalade diplomatique en cours entre Emmanuel Macron et Choguel Maïga ne vienne pas compromettre davantage le soutien français, et plus largement occidental, en matière de lutte contre le terrorisme dans sa région. Loin des calculs politiciens en vogue à Paris et à Bamako, Salaha Maïga repense plus concrètement à l’occupation djihadiste sous laquelle il a dû vivre pendant des mois en 2012. « Et ça, répète-il, personne au Nord ne veut la revivre. »

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